INTERVIEW Charles Pépin: « La beauté nous fait du bien »
Propos recueillis par Christine Kerdellant, pour le site internet L’Express magazine publié le 11/02/2013 à 17:19 , mis à jour à 17:23
Agrégé de philosophie, enseignant et chroniqueur, Charles Pépin publie, ce lundi, Quand la beauté nous sauve. Pourquoi l’émotion esthétique est-elle tout sauf un luxe? C’est ce qu’il expliquera au rendez-vous des (Im)pertinents, le 21 février prochain, avec L’Express. Entretien.
Pourquoi le thème de la beauté est-il si important pour vous?
Parce que la beauté nous fait du bien! Lorsque j’éprouve une émotion esthétique, je ne mens pas, je n’essaie pas de me distinguer socialement. Un tableau est beau parce que je le ressens comme tel. Il n’est nul besoin de raisonner pour justifier cette émotion, il n’y a aucune explication à donner. J’apprends à me faire confiance, à m’écouter. A me fier à mon intuition.
Selon Charles Pépin, l’émotion esthétique est très personnelle, et, en même temps, elle provoque un élan vers l’autre.
La beauté nous guérit de nos doutes. L’émotion esthétique est un réapprentissage de l’estime de soi. Plus généralement, dans mon livre, je ne cherche pas à définir pourquoi une chose nous paraît belle, mais à décrire ce que la beauté nous fait.
Pourquoi dites-vous que la beauté nous libère de la crispation identitaire?
J’ai failli sous-titrer mon livre: « la beauté racontée aux snobs ». Celui qui se sent obligé d’expliquer pourquoi un tableau ou un morceau de musique est beau n’a rien compris à l’émotion esthétique. Il faut accepter cette part de mystère. On passe son temps à la fuir! Avec le beau, on découvre qu’il est agréable de ne pas comprendre pourquoi l’on ressent une émotion particulière. Mieux encore, on peut être heureux de ce mystère.
Aujourd’hui, la pensée positiviste triomphe: certains estiment que l’on va pouvoir tout expliquer de la pensée humaine. A l’inverse, je pense qu’il est bon de découvrir qu’on ne peut pas tout comprendre, mais qu’on peut accepter le mystère du monde et se sentir plus fort. Ce qui est obscur, c’est le « pourquoi j’aime ». Dans le rationaliste athée, il y a un petit mystique qui sommeille. Se découvrir mystique, c’est s’ouvrir à un autre rapport au sens. La beauté nous aide à nous réaliser et à vivre mieux.
Vous êtes convaincu qu’il n’existe pas de beauté objective?
Il ne faut pas essayer de distinguer ce qui serait objectivement beau de ce qui ne l’est pas: c’est ce qui a figé la pensée pendant un millénaire! Il faut mettre le nombre d’or à la poubelle. Plutôt que de chercher à répondre à ce genre de question, il faut s’interroger: est-ce que ce tableau, cette musique, ce paysage me touche?
Si le plaisir de la beauté est subjectif, il est pourtant nécessaire de le partager. Le sentiment de beauté est à la fois très personnel, et, en même temps, il provoque un élan vers l’autre. D’où un agrandissement du rapport aux valeurs, une ouverture sur autrui… La beauté nous guérit de l’individualisme, de l’enfermement. Quand j’éprouve une émotion en écoutant David Bowie ou Eminem – qui, dans ses textes, fait l’apologie de l’argent-roi, de l’homophobie ou d’un tas de choses que je ne partage pas – j’ouvre les yeux sur d’autres vies possibles.
La beauté aiderait à vivre, bien plus qu’on ne le peut?
Nous avons tendance à mettre en avant l’amour, l’amitié, la réussite, l’engagement pour une cause… Mais la beauté n’est pas un agrément superficiel ou secondaire. Ce n’est pas un luxe ou un divertissement pour gens cultivés. Elle joue un rôle central dans notre existence, parce qu’elle enrichit nos vies.
Quand la beauté nous sauve, par Charles Pépin, éd. Robert Laffont