L’art : une thérapie post-Covid?
Un article de Paul Molga
Visiter un musée, contempler des oeuvres ou écouter de la musique peut aider à la reconstruction de notre santé mentale après la crise sanitaire. L’art peut aussi apaiser les souffrances et même améliorer les performances des malades atteints de démences séniles.
Un Picasso et deux Van Gogh, une fois par semaine pendant trois mois… Lancées à Montréal en 2018 pour venir en aide aux patients dépressifs, ces ordonnances muséales font leur chemin dans l’arsenal thérapeutique des psychiatres confrontés à l’augmentation des cas de burn-out et d’anxiété post-Covid.
Inspiré par ce programme qui a conduit des centaines de Québécois à soigner leur blues hivernal, l’hôpital Brugmann de Bruxelles, le plus grand établissement hospitalier de la ville, teste à son tour ces prescriptions culturelles. Encadrés par des membres du personnel de santé, les patients de la clinique du stress abritée par l’hôpital arpentent par petits groupes les allées du musée de la ville – et bientôt d’autres sites patrimoniaux – pour trouver dans l’art des moyens d’apaiser leur souffrance. « Cela va permettre de sortir les patients des ruminations, des anxiétés, des prisons mentales dans lesquelles ils sont parfois enfermés. Ici on utilise le média artistique pour les amener à initier des échanges, recréer du lien social en décrivant la perception qu’ils ont eue des oeuvres. Peu importe leur pathologie. Ce qui compte, c’est l’accès aux représentations artistiques qui sont perçues de manière différente pour chacun d’entre nous », explique Charles Kornreich, chef du service psychiatrie de l’hôpital. D’autres capitales y songent. En France, l’Institut de Cardiologie de la Pitié-Salpêtrière a lancé le mouvement en partenariat avec le château de Compiègne, pour offrir gratuitement aux patients convalescents le moyen de guérir leurs angoisses.
En compilant les résultats de plus de 900 publications scientifiques sur le sujet, l’OMS a confirmé fin 2019 le rôle majeur des arts sur le bien-être mental et physique des malades.« Faire entrer l’art dans sa vie par le biais d’activités telles que la danse, le chant ou la fréquentation de musées et de concerts nous donne une clé supplémentaire pour améliorer notre santé », déclarait à l’occasion le docteur Piroska Östlin, une des expertes ayant participé à cette étude. Ecouter de la musique ou pratiquer une activité artistique régulière pourrait ainsi permettre de réduire les doses médicamenteuses, limiter les effets secondaires de la chimiothérapie, faire baisser la pression artérielle ou encore favoriser les capacités intellectuelles des malades atteints de démences séniles en ravivant leurs souvenirs, leurs goûts, leur identité.
Cet art thérapeutique est ce qu’étudie le neurologue Pierre Lemarquis, auteur du livre « L’art qui guérit » (éditions Hazan). « Pour notre cerveau, une oeuvre d’art apparaît comme une entité vivante », esquisse-t-il. En effet, l’imagerie médicale a montré que le gyrus fusiforme, une région du cortex impliquée dans la reconnaissance des visages, s’active en présence d’un tableau de maître. « On dialogue avec l’oeuvre comme avec une personne », résume le clinicien. Les zones postérieures du cerveau qui captent et interprètent les stimuli sensoriels s’enflamment en premier. Les informations perçues sont analysées par notre mémoire qui les compare à nos expériences passées pour produire un jugement. « Une fraction de seconde suffit à notre cerveau pour jauger l’intérêt d’une oeuvre », décrit le neurologue.
Circuit de récompense activé
Si l’on s’y attarde, le circuit du plaisir et de la récompense entre en jeu. « Il agit sur nos émotions et stimule une série d’hormones responsables du plaisir : la dopamine (qui nous donne la joie de vivre), la sérotonine (qui nous procure du bien-être), l’ocytocine (qui stimule l’attachement) et les endomorphines (qui nous permettre de combattre la douleur). » Cette chimie intérieure est essentielle au fonctionnement de notre organisme. La dopamine, par exemple, réduit le taux de cortisol (l’hormone du stress) et stimule la motricité, en particulier chez les patients atteints de Parkinson chez qui elle fait défaut. En assimilant une oeuvre à une personne, nous entrons également en résonance avec l’artiste. « C’est ce qu’on appelle la ‘théorie de l’esprit’ : grâce aux neurones miroirs liés au circuit de l’empathie, notre cerveau devine l’intention de l’artiste et interagit avec lui. On peut compléter une oeuvre partielle, déchiffrer un flou artistique dans un tableau impressionniste ou reproduire les gestes du peintre, comme les coups de cutters qui lacèrent les oeuvres monochromes de Lucio Fontana. »
« Chacun devient l’oeuvre qu’il observe »
Les chercheurs se sont attardés sur les effets produits par la Joconde sur les dizaines de milliers de visiteurs qui se pressent chaque jour au Louvre pour contempler ce délicat portrait sur panneau de bois de peuplier. Quelle émotion exprime-t-elle ? En 2005, des chercheurs de l’Université d’Amsterdam ont mis ce visage énigmatique à l’épreuve d’un algorithme de reconnaissance faciale. Le logiciel avait déduit qu’elle exprimait du bonheur (à 83 %), mais aussi du dédain (à 9 %), de l’effroi (6 %) et une colère froide (2 %). Un plus récent décryptage réalisé sur 43 sujets humains a confirmé cette intuition informatique.
Mais les chercheurs de l’université de Californie, qui ont réalisé cette dernière étude, ont également démontré que notre perception dépend étroitement de notre état émotionnel. « Si Mona Lisa ne vous paraît pas heureuse, c’est peut-être à cause de votre propre humeur », explique Erika Siegel, spécialiste en psychologie comportementale à l’origine de l’étude.
Pour en venir à cette conclusion, elle a fondé ses travaux sur la théorie selon laquelle notre cerveau enregistre visuellement notre environnement, consciemment ou inconsciemment, selon qu’il utilise notre oeil dominant ou non-dominant (passif). Elle a montré à ses sujets plusieurs séries d’images avec des expressions neutres, grimaçantes ou souriantes. Après quoi les participants devaient décrire ce qu’ils ressentaient du visage de Mona Lisa. « Ceux dont l’oeil non-dominant avait vu un visage souriant la déclaraient heureuse, et inversement », décrit la chercheuse. « Chacun devient l’oeuvre qu’il observe », en conclut Pierre Lemarquis. Avec l’association L’invitation à la beauté, qu’il a fondée avec la psychologue Laure Mayoud, il propose aux patients du service de médecine interne de l’hôpital Lyon-Sud d’accrocher une oeuvre dans leur chambre pour se détourner de la maladie. Rien que des paysages contemplatifs et des scènes heureuses.
Mozart, thérapeute malgré lui ?
La musique de Mozart produit-elle l’effet thérapeutique qu’on lui prétend depuis que l’ORL et chercheur Alfred Tomatis en a émis l’hypothèse au début des années 1990 ? Une récente étude l’affirme : écouter les dix premières minutes de sa sonate K448 en ré majeur pour deux pianos aurait réduit de 32 % les décharges électriques anormales chez 18 patients épileptiques résistant à tout traitement. L’écoute de la même sonate aurait également permis à des étudiants d’augmenter de plusieurs points leur score à des tests de QI, à des rats de laboratoire de trouver plus rapidement la sortie d’un labyrinthe et à des bébés prématurés de reprendre plus rapidement du poids. Mieux, selon la même étude : d’autres musiques, comme la symphonie n° 94 en sol majeur de Joseph Haydn produirait l’effet exactement inverse. L’hypothèse émise par les chercheurs est que la musique du compositeur autrichien possède des propriétés particulières qui agissent sur le cerveau : un tempo permanent de 120 pulsations par minute, une structure accessible qui détend le système nerveux et une consonance mélodique qui coïnciderait avec le rythme cérébral. Les preuves, cependant, manquent. « On sait qu’une musique peut être efficace sur un patient quand elle lui plaît », souligne un neurologue. Or avec son harmonie rassurante rappelant les berceuses d’enfants, celle de Mozart comblerait le plus grand nombre.
Cinq raisons pour lesquelles l’art fait du bien
- Il développe nos capacités intellectuelles. La pratique d’une activité artistique développe l’attention, la mémoire, la représentation géométrique, la différentiation et la tolérance.
- Il crée du lien grâce au partage d’opinions. En comparant nos ressentis, on affirme notre personnalité à travers les émotions originales que nous éprouvons.
- Il stimule notre empathie. En activant nos neurones miroirs, il commande un mimétisme réflexe.
- Il permet d’explorer des zones insoupçonnées du cerveau.
- L’art abstrait, notamment, stimule de nouvelles associations émotionnelles et cognitives en présentant une autre réalité.
- Il nous libère. En nous permettant de nous évader du réel, il agit comme un exutoire et provoque ce qu’Aristote décrivait sous le nom de « catharsis ».
Source : Les Échos | 21 février 2022